mardi 16 juin 2015

Le Genre...humain

Le féminisme
Le féminisme est un mouvement qui en Occident à été porteur de réflections et de modifications du statut social des femmes. Dès les Dames savantes, nous constatons qu'elles sont porteuses de culture comme objection à la force virile dominante des hommes; viendra ensuite les luttes pour les droits et la revendication d'égalité en droit avec les hommes. L'émancipation enfin est généralement acceptée, mais encore en cours de réalisation. La misogynie est souvent une injustice voire une horreur, la misogynie est toujours  une imbécilité !
L'émancipation est la revendication d'une stricte égalité de droit avec les hommes. Aujourd'hui plus personne ne conteste (officiellement) ce droit, même si dans les faits beaucoup reste à faire. Mais certain(e)s vont au delà et voudraient effacer toute différence en plus de toute différenciation.
La différence effacée, le droit s'appliquerait plus aisément, cela semble séduisant et pourtant...

Le genre
Malgré les tentatives de conceptualisation, les théoriciens du genre différencient peu sexe et genre. Pourtant la différence sexuelle homme/femme est du même ordre que celle des autres animaux mâle/femelle. C'est même une des rares différence naturelle chez les humains. Mais cette différence irréductible est de tout temps mal acceptée par nous, est toujours combattue malgré sont caractère essentiel à notre identité. Chez les autres mammifères nous rencontrons des hiérarchies apparentes, mais si nous y regardons attentivement, elles sont au service de la pérennité de l'espèce.

Les volontés égemoniques (races, religions, sociétés) ont toujours été fondées sur une volonté de réduire les différences, voire de les effacer, comme moyen de rester entre-soi, entre semblables. C'est constatable dans le monde animal; cette observation des autres espèces animales pourrait renforcer cette vision du monde: que chacun reste à sa place et tout irait mieux, rechercher la pureté,  ne pas mélanger les torchons et les serviettes !
Cette construction narcissique fondée sur l'apparence, l'image du semblable, néglige le fait que les êtres humains, quoique mammifère ne fonctionnent pas comme les autres animaux. J'entend Walt Disney protester, mais je persiste: les êtres humains sont foncièrement hétérogènes à eux-mêmes et ont besoin pour construire leur identité de différences repérées, acceptées et valorisées entre eux.

Ainsi les "fausses vérités" relatives aux sexes, dénoncées par les féministes sont des différences réelles, naturelles  et nous sont nécessaires. Certes les différences sociétales qui en découlent sont artificielles, modifiables, sous influences et évolutives en fonction des sociétés. N'en déplaise à certains, elles sont nécessaires bien que malheureusement trop souvent détournées à des fins de pouvoir. Il y a une nature sexuée qui n'est pas neutre. Le sexe n'est pas le genre, le sexe est réel, le genre est artificiel, interprété, construit. Le corps, l'image, les relations sont des constructions évolutives qui gardent des traces de leur origines sexuelles.

L'inceste
Le tabou de l'inceste est universelle ou plus modestement une constante du monde animal et donc humain. On peut y voir une sauvegarde génétique, mais surtout le tabou de l'inceste est pour les humains le principal organisateur de notre relation au monde.
Freud n'a pas inventer l'interdit de l'inceste, il l'a découvert et théorisé. Beaucoup d'interprétations en ont découlée. Il en résulte l'hétérosexualité dans le monde animal; même si celui-ci n'est pas exclusif, il est nécessaire à la perinité du monde animal et cette pérennité de l'espèce est le sens fondamental de la vie animal.

Chez les autres mammifères sexe et genre sont identiques, déterminés par la génétique; chez l'homme le sexe est aussi déterminé par la génétique, mais le genre est construit par les relations familiales et sociales sous l'influence des événements et des interprétations.
L'origine de la différenciation des genres est donc bien réelle même si les résultantes sont artificielles; c'est pour cela qu'il n'y a que 2 genres, les enfants étant considérés le plus souvent comme
indéterminés ou en devenir.
Dire que le "processus d'hétérosexualisation des corps" est intellectuelle est une aberration puisque son origine est génétiquement prouvé (chromosomes X et Y). Il en resulte une exclusion : je sais que
je ne suis pas de l'autre sexe, ce qui ne définit pas pour autant  cet autre sexe pas plus qu'il ne définit le mien! Ce rapport d'exclusion est articulé a l'interdit de l'inceste qui y ajoute secondairement l'interdit du parent du sexe opposé. Le "rapport sexuel" est un rapport d'exclusion ! S'ensuivent les interprétations et les déplacements qui aboutiront au choix amoureux...

Ce qui serait révolutionnaire dans l'histoire humaine serait l'apparition de 3ème ou énième genre; ce ne serait pas une variation ni encore moins une libération, ce serait pour la première fois dans le monde animal la construction d'une identité hors du réel du sexuel puisqu'il s'appuierait sur un autre réel que la différence sexuelle
Les douces rêveries des théoriciens du genre cachent l'acharnement fort ancien à vouloir se débarrasser de l'irréductible différence sexuelle, roc incontournable sur lequel s'appuie toute identité animale et jusqu'à présent humaine.
Par ailleurs que soient critiqués les usages à des fins de pouvoir est tout à fait recevable parceque exacte et injustifiable. La critique est source de progrès dans la mesure où y est traqué tout abus de pouvoir. Mais les différences de genre sont des moyens d'étayer son identité, en particulier pendant l'enfance et la construction de l'identité.

La différence sexuelle fondée sur l'exclusion de l'autre sexe, conduit habituellement à situer du côté de cet autre sexe ce que vous n'avez pas; l'intérêt qui en resulte est à des fins imaginaires de récupération. Nous avons du mal à accepter la "castration" et tentons de récupérer à travers l'autre

ce qui est irrémédiablement perdu structurellement d'origine. L'hétérosexualité majoritairement résulte de cela, ce qui place l'homosexualité comme alternative relationnelle aussi valable ou aussi peu valable à vouloir tenter l'impossible. L'homosexualité est une variante, comme l'hétérosexualité du traitement relationnel et voué à l'échec de la sexualité comme complétude.

Lacan a proposer une dualité fondée sur l'inclusion (les hommes sont des hommes) et l'exclusion (les
femmes ne sont pas des hommes). Différences d'abord de la relation à l'autre sexe qui peut recouvrir un fonctionnement social, mais qui n'a aucune raison d'être stable ni immuable, car c'est une construction de genre et non un réel du sexuel. La castration est universel et les hommes y sont soumis autant que les femmes. L'interdit de l'inceste n'est que la mise en forme humaine d'un impossible à être des deux sexes. L'interdit de l'inceste maintient l'imaginaire d'une récupération grâce à l'autre d'une perte irréductible.

Et le Yin et le Yang? Y at'il du féminin chez l'homme et du masculin chez la femme? Beaucoup le pensent et pas sans raisons puisque bien que ces différences soient réelles, ce que nous en faisons est artificiel. Les mignons d'Henri III quoiqu'efféminés n'en étaient pas moins des hommes... Et les transsexuels ?...
Quelque soit la réponse que nous apportons à l'énigme de la sexualité, celle-ci reste une réponse subjective ayant forme de certitude, de conviction, de croyance, de foi. Quelque soit notre construction elle n'épuise pas la question, ce qui fait que les réponses collectives ne sont que partielles. Étant donné qu'aucune réponse ne peut s'établir sur une preuve irréfutable, nous en sommes réduits à répondre en acte, puisque nous ne pouvons nous contenter de ce que nous avons ou pas. "fait-le si t'es un homme!" devient "dit-moi ce que tu fais et je te dirais qui tu es!

Réponses individuelles 
Dans certaines sociétés contraignantes les actes sont codifiés de façon limitée; mais dans notre société moins contraignante sur l'identité sexuelle, la réponse s'étaye plus sur l'intime et le 
singulier. Le singulier n'est pas l'originalité: il ne s'agit pas d'ériger sa petite différence.
 Il nous faut de plus en plus inventer des réponses, être auteur et répondre à des exigences internes. Nous pouvons de moins en moins avoir des réponses societales validées par d'autres.

Le troisième sexe 

Non la véritable question serait: peut-il y avoir un 3ème sexe?

Certains pays pour des raisons démagogiques ont institué un 3ème sexe, comme si c'était à chacun de choisir son sexe. A quant le choix de son père et de sa mère? A quant la possibilité de changer de sexe et de parents ?
Cette mascarade participe à l'illusion que tout reste possible et que nous pouvons éviter la perte de ce que nous ne sommes pas. Nous choisirions ce que nous sommes à notre convenance en nous fondant sur la représentation provisoire de ce que nous souhaitons ou croyons... Notre mégalomanie n'a pas de limites.
Ces élucubrations qui ont conduit certains pays à proser sur son passeport d'y figurer en tant qu'homme, femme ou "neutre" est grotesque. C'est tout simplement du à ce que ça n'a une importance que secondaire par rapport à l'empreinte digitale ou les traces génétiques pour identifier quelqu'un !

Le troisième sexe reste une fiction. Mais d'y croire peut mener loin...





vendredi 29 mai 2015

Le genre et la différence sexuelle

Un monde qui accélère.
Nous sommes dans un monde de mouvement. Il faut avancer, croître , repousser les obstacles. Toute limite est contestée comme une restriction de liberté. D'ailleurs jamais le choix individuel n'a été aussi varié. C'est le  toujours plus, la croissance comme valeur universelle.
Cette croyance que le plus est le mieux a beaucoup d'incidences: l'important est d'avoir plus et de faire plus.
Le quantitatif devient le seul critère. Cela contraint à accumuler et à se dépêcher, augmenter le rendement. Soit nous adhérons avec enthousiasme, soit nous retrouvons la dialectique du maître et de l'esclave: notre moyen d'exister devient l'évitement caché, l'obstruction dissimulée, le pouvoir de nuisance.
Nous constatons qu'il n'y a pas de pilote dans l'avion et pas d'alternative générale crédible, il ne nous reste, pour l'instant, que les solutions individuelles. Étant très influençables, nous sommes séduits par cette société de consolation; elle s'étend dans le monde balayant les liens sociaux existants plus ou moins rapidement. La résistance, quant elle est souhaitée, est individuelle. Il existe des mouvements collectifs de résistance, mais provisoires et vraisemblablement voués à l'échec.
Ces mouvements de résistance, sans préjuger de leurs valeurs, sont passéistes: intégrismes, traditionalisme, écologie, etc... Ces mouvements ne sont pas sans raisons valables qui seront peut-être intégrée, mais qui ne semblent pas encore des alternatives à notre société.

Un des effets de miser sur le quantitatif est au détriment du qualitatif. Ainsi aux différences sexuelles se substituent les différenciations sexuelles, les choix catégorielles sont remplacés par le culte des petites différences. Ces choix identitaires évitent toute exclusion et toute perte: on n'est plus ou homme, ou femme, mais homme avec une part de féminité, voir d'un troisième genre qui plus est serait neutre!

La théorie du genre prétend remplacer la théorie freudienne de la différence sexuelle. Pourquoi pas, mais de quoi s'agit-il ?
Judith Buttler soutient que les deux genres masculin et féminin sont des préjugés. Si c'est le cas, rien n'empêche d'en inventer d'autres. D'autres part elle conteste la qualité identitaire de ces deux genres, beaucoup,selon elle, ne s'y retrouvant pas bien logés. Comme la majorité des féministes, elle prétend que c'est la résultante d'un abus de pouvoir des hommes imposant une hétérosexualité dominatrice.. Ainsi Freud et Levi-Strauss, avec l'interdit de l'inceste se seraient égarés. Les genres qui en résulteraient seraient des mascarades où chacun dissimule son identité réelle. Ce refoulement de la vérité serait au service du pouvoir en place, auto-censure qui fige le monde.

Nous pouvons constater d'expérience qu' il n'existe que deux sexes: mâle et femelle. Mais pourquoi existerait-il que deux genres?
Les deux sexes sont de l'ordre d'un réel incontestable. C'est inscrit dans notre anatomie et dans notre génétique. Il exige, de façon exceptionnelle des variantes génétiques, mais elle sont considérées comme des anomalies, ne pouvant participer à la perinité de l'espèce...
Les genres sont des constructions symboliques, ostensiblement construits à partir du repérage des différences sexuelles. Si les différences sexuelles sont constantes tout au long de l'histoire de l'humanité, il n'en est pas de même des genres qui changent selon les sociétés.
Le genre est une interprétation sociétale de la différence sexuelle, mais jusqu'à maintenant limité à deux. Au delà des deux genres de référence de chaque société, nous trouvons des êtres non humains relevant des mythologies. Nous pouvons même constater que cette sortie du genre commun est une condition indispensable à toute condition divinisée. Mais si nous restons du côté des humains, nous sommes dans l'alternative homme ou femme.
Et l'enfant? Celui-ci quoique précisément sexué, est en attente de constitution d'un genre définitif établi à l'âge adulte.

Il est difficile de contester que si le genre trouve son fondement dans la différenciation sexuelle, celui-ci est la résultante d'un une interprétation référée à un contexte culturel.

Il me semble que quelque soient les critiques fondées à propos des genres, tels qu'ils sont élaborés, il est important de remarquer qu'ils entérinent une exclusion: nous sommes ou mâle ou femelle. D'autre part il est à noter que ce choix entraîné une nécessité d'interprétation: comment, dans un milieu social déterminé être un homme ou être une femme? Dans notre société ce ne peut être l'application d'une consigne.
Les sociétés organisent les relations humaines et donc prétendent influencer la façon d'y être homme ou femme. Les sociétés à initiation sont plus coercitives que les sociétés à longue adolescence. L'adolescence est un cheminement individuel entre la fin de l'enfance et le début de l'état d'adulte. Mais même dans les sociétés ouvertes, les constructions diverses de l'adolescence ne sont pas sans censure et surtout d'auto-censure fortement liée à l'éducation reçue.

La question des différences sexuelles par son exclusivité réciproque, entraîne la nécessité du choix. Celui-ci se présente initialement sous la forme du "bon choix". Le bon choix hiérarchise: avantage à être un homme, avantage à être une femme. Cette hiérarchisation va entraîner désavantages et frustrations. Que celles-ci soient critiquées, quoi de plus logique et d'acceptable! Hiérarchie entraine injustice et revendications.

Cet abord pose d'emblée la question de la tolérance. En effet nous avons le plus grand mal à accepter de ne pas hiérarchiser les différences. Portant ce qui est différent n'est forcément mieux ou moins bien. Si on admet cela, se pose alors la question de l'investissement et de l'usage: combien ça me coûte et pour en faire quoi.

Freud n'a pas une théorie du genre mais une théorie de la sexualité: d'être homme ou d'être femme entraîne des limites qui se présentent différemment à travers l'interdit de l'inceste. Celui-ci a été constaté dans toutes les sociétés humaines. L'interdit de l'inceste n'est possible que s'il y a une exclusion d'un sexe par rapport à l'autre: on ne peut être homme qu'à condition de ne pas être femme et réciproquement. Ce lien d'exclusion est nécessaire pour que la mère soit interdit au fils, ou plutôt que la femme qu'est la mère soit interdite à l'homme (en devenir) qu'est le fils.

Dans la théorie du genre ce qui est révolutionnaire c'est la possibilité d'un troisième, voire énième genre humain. Disons-le tout net: c'est un délire ! Mais la réalité humaine est fondamentalement délirante; certe, mais l'introduction nouvelle d'un troisième genre ne pourrait qu'entraîner une nouvelle civilisation qui vraisemblablement accentuerait encore plus férocement les rapports hiérarchiques. Nous avons déjà tellement de mal à accepter les petites différences de sexe ou de couleur de peau, alors imaginez davantage !

C'est pas parceque le genre est une construction artificielle, que nous pouvons nous passer de l'acceptation de la différence sexuelle indispensable pour la construction de notre identité. Quoiqu'en disent les féministes, les femmes ne sont pas une variante des hommes et réciproquement : les femmes ne sont pas des hommes et les hommes ne sont pas des femmes! Cela ne définie pas ce qu'ils sont, puisque la réponse propre à chaque société et à chaque individu sera ce qu'il en fait, sera la réponse qu'il inventera, qu'il bricolera comme il pourra. Nous constatons que chacun gagnerait à respecter au mieux l'autre (sexe) d'autant plus que son identité se construira plus dans cette relation à l'autre que dans sa relation au semblable. Vive la différences, vive les différences, nous en avons tous besoin!

La tentation infantile de miser sur la ressemblance vient de la position de l'enfant à s'aliéner à ce que l'autre veut; il en espère une bonne place stable, garantie. C'est à l'adolescence qu'il découvre que cet agencement ne suffit pas à étayer son identité et qu'il lui faut fonder en acte son identité.

mercredi 27 mai 2015

Les ratages de l'éducation

Qui élève un enfant commet des erreurs, inéluctablement!

Les erreurs ne sont certes pas équivalentes et doivent être évitées si possible, mais celles-ci ne sont pas toujours néfastes;  beaucoup dépend de comment elles sont "rattrapées".

Exemples:
 Un père en difficulté pour prendre place auprès de sa petite fille, place celle-ci dans une recherche d'existence qui la pousse à réclamer, rouspéter ou objecter très tôt aux propositions maternelles. Celle-ci dérange certes, mais son activisme ensuite pris en considération par son père se transforme en dynamisme et en détermination dans les relations. En crèche, impartie d'un caractère affirmé, la fillette s'organise et domine ses camarades.
Une autre fillette accueillie avec enthousiasme par un papa ravi est très heureuse d'être choyée, dorlotée par ce papa bienveillant et protecteur. Quant arrive le moment d'aller à la crèche la séparation est douloureuse et elle se sent désemparée. Passive, elle attend un consolateur et passe des jours sur les genoux avant de se sentir en confiance auprès d'un enfant dominateur.

N'oublions pas que l'autonomie est un enjeu essentiel pour les enfants en devenir d'être des adultes. Aussi d'une situation difficile ou conflictuelle peut résulter une expérience riche en enseignement. Les parents sont pourvoyeurs de sens et l'enfant parcourt ce sens et est parcouru par ce sens. Il s'agit de lui permettre d'y loger et que celui-ci l'aide à discerner ce qu'il vit, plus que ce qui se passe autour de lui.

Les sens est le chemin parcouru. Il ne s'agit pas de le convaincre, de le persuader mais de l'avertir et de lui expliquer ce qui se passe pour lui, afin qu'il puisse construire des représentations qui lui serviront de repères.
Il y eu une époque où, pour épargner les enfants, on leur cachait les deuils; il en a résulté beaucoup d'égarements et de souffrances.

Une éducation est la mise en place d'un ordre interne, d'origine externe. Cet ordre se construit progressivement à partir de ce que l'enfant perçois et différencie. Il ne peut pas y parvenir sans erreurs. La réussite d'emblée ne permet pas la mise en place de repères; un adage dit: " d'un mauvais jugement résulte une mauvaise expérience. D'une mauvaise expérience peut naître un bon jugement!"
La mauvaise expérience est plus propice à repérer ce qui fait défaut.
La réussite n'apprend pas grand chose, mais rassure et donc est bienvenue. Mais la réussite d'un enfant ne vaut vraiment que confirmée par un adulte crédible et les adultes ne sont pas logés à la même enseigne. Ainsi les compliments en provenance du père ont souvent plus d'effets que ceux de la mère; en effet celle-ci est plus soupçonnée de partialité. Les reflections à connotation sexuelle ont aussi plus d'impacts lorsqu'il proviennent du père...

De toute façon chaque enfant est particulier et son éducation doit prendre en compte ces particularités. Donc chaque enfant entraîne une remise en cause des méthodes, manières et approches des parents. Même avec beaucoup d'expérience, nul ne peut s'appuyer que sur un savoir-faire ou une méthode importée. L'éducation d'un enfant est une aventure et un engagement à favoriser une autonomie et à transmettre des valeurs.

mercredi 17 décembre 2014

Élucubrations sur l'Amour improbable et pourtant insistant

L'amour est devenu une préoccupation générale et une occupation essentielle.
En occident depuis "le Banquet" de Platon où tour à tour Socrate donne la parole à chacun pour définir l'amour, nous ne cessons générations après génération de tenter de cerner ce  qu'il en est. Mais est-ce un sentiment, une émotion, une pensée, un acte, etc...?

Nous proposons par envisager son lieu principal actuellement en Occident: le couple. Celui-ci n'est pas seul lieu possible et n'est peut-être pas le lieu d'origine de l'amour, mais indique une relation particulière sous-tendu par un lien particulier.
La vie à deux, créations et turpitudes, est-ce un pari utopique, le fruit d'un sentiment particulier, une résignation de vaincu, un choix de prudence raisonnable, une complémentarité , une passion, un mode de réalisation, un moyen d'existence, etc...?

Après le paroxysme de la rencontre amoureuse, y a-t'il la fatalité d'un decrescendo de l'intérêt, voir de la désillusion? La vie commune finit elle forcément par un affadissement de la relation?
L'amour finit-il en cage, l'homme captif, la femme résignée? Enfermement ou piège qui conduit à la rupture ou à la fuite?

Rares sont ceux qui croient longtemps au merveilleux, mais beaucoup espèrent en secret, même sans chercher. Les hommes, dit-on finissent par y trouver refuge, là ou les femmes y verraient un point d'appuis à leur essor social. Entente donc ou plutôt mésentente assurée et sécurisante d'un bonheur insatisfaisant.
Le merveilleux n'est que croyance d'enfant, illusion confortable qui disparaît aux épreuves de réalité. Mais si les enfants inventent le merveilleux pour supporter leur dépendance, sommes-nous incapables adulte de le créer?

Essayer de comprendre l'autre? Mais justement il s'obstine à rester autre, échappant à toute explication, se dérobant à toute définition; je voudrais qu'il me rassure d'être-là comme je l'attend et le voilà ailleurs ou différent! Je voudrais qu'il me surprenne agréablement et le voilà identique à lui-même figé à la même place dans la même relation, fixité d'un miroir qui me reflète dans l'ennui voir dans le mortifère.

La rencontre, avec la surprise de l'importance attribuée à l'autre, n'est qu'un effet de séduction, de projection et d'illusion. Mais cette rencontre illusoire et ratée, ne peut-elle réussir au-delà de l'imaginaire, par un franchissement de éphémère grâce à l'engagement? La séduction n'est pas sans raisons, mais quelles raisons? Quelles valeurs ont elles?

Et le désir?
L'encombrante question du désir, est-ce possession pour les hommes et valorisation pour les femmes, attelage improbable et boiteux qui s'obstine à se joindre sans se rejoindre, sinon dans le fantasme?
L'amour cherche la réalisation du désir, mais ne trouve plus souvent frustrations et mal-entendus qu apaisement; faut-il s'obstiner et pourquoi?

 Le culte de l'intensité a été une tentative pour palier au ratage amoureux, par exemple dans la passion amoureuse.
 À notre époque, après les romantiques inventeurs de l'amour inaccessible, nous nous sommes précipités dans la consommation sans prudence. L'astuce des romantiques étaient que, suite au libertinage qui avait conduit à l'écoeurent, ils conclurent que l'amour réussi ne pouvait être que non réalisable. Ainsi l'amour prit la figure de l'être perdu à jamais, mort de préférence, permettant l'intensité extrême d'un amour sans rencontre véritable et donc sans démenti.
Moins prudents et plus ignorants, nous voulons mettre en application l'extrême sensation, comme si l'intensité émotionnelle était une garantie d'authenticité.
Mais à ce moment finie la paix au profit des convulsions qui, d'être imaginaires n'en sont pas moins confrontées au réel d'une relation tourmentée :disputes, fureurs et réconciliations entrainent chacun dans une sur-enchère d'épreuves. Le salut est dans la fuite, avec le mensonge de l'accusation, ou dans la soumission, avec le mensonge de la compromission. C'est l'adolescence de l'amour: l'intense et l'extrême de l'adolescent.
L'intensité peut néanmoins être plus qualitative que quantitative. Mais c'est plus difficile!

Pourquoi l'amour des parents est-il un échec?
Sauf idéalisation forcée ou ignorance délibérée , l'amour des parents est toujours un échec aux yeux des enfants.Un échec criant ou discret, mais un échec. Ainsi ils se promettent de faire mieux ou du moins autrement. De toute façon cela ne peut qu'être autre chose de réussir.
En effet nous pouvons jouer, écrire, danser, chanter, peindre, parler à la manière de, mais nous ne
pouvons pas aimer à la manière de! Parce qu'aimer c'est créer! Le rejet des enfants traduit moins un échec patent qu'une impossibilité à imiter. Il va falloir inventer une solution nouvelle avec peu de savoir-faire.

Le couple ne trouve pas sa seule raison d'être dans l'amour. Il suffit de regarder autour de soi. L'amour reste pourtant le signe de la réussite du couple, au point qu'il en fait l'affiche parfois comme moyen d'auto-conviction. Il semble y être essentiel, le plus souvent raison d'être du couple, du moins à l'origine.
L'amour est d'actualité, cela n'a pas toujours été. Lorsque leurs parents mariait au 18 ême siècle, la Marie avec le Fernand, ils n'était pas toujours question d'amour et cela ne se passait pas forcément mal. C'était une autre société. Le sentiment amoureux était moins prisé, bien que l'attachement réciproque se produisait le plus souvent.

La jouissance du corps:
Et le corps avec la jouissance et l'effusion: est-il une primauté, une obligation? La jouissance est-elle signe de l'amour? L'ennui est-il le signe de l'échec? Ou est-ce l'indifférence? La répétition tue-t'elle le désir, tue-t'elle l'amour?
Nous voulons un épanouissement sexuel en dédommagement du coût, le confort et la tendresse ne suffisant plus. Et voilà que la sexologie s'en mêle, conduisant les relations sexuelles à des pratiques de gymnastique et d'hygiène décomplexée, en place d'un dévergondage craintif. Le dérisoire devient le standard du grotesque partagé où "le normal" devient l'étendard à suivre.
La sexualité rassure par sa pratique quantifiée en durée et en rythme, en figure et en position, miroir où chacun se regarde attentif à l'obtention d'un orgasme fantastique à défaut d'être fantastique. Et si vous n'êtes pas content veuillez vous rhabiller ou vantez-vous comme les autres, persuadez-vous qu'à prendre votre pied la vie vaut la peine d'être vécue!

Et l'érotisme est-il le secret de l'amour? Faut-il alors s'éviter, rester dans un éphémère qu'il s'agit de faire durer encore et encore? Y a-il une pratique de l'érotisme qui, tel que l'enseigne le Kamazoutra  correspondrait à une typologie, permettrait l'entretien de l'amour comme d'un jardin secret? La rencontre  transgressive permet-elle un érotisme garantissant la perpétuation de l'amour?

La répétition:
Y a-t'il un bonheur possible dans la  répétition ? Mais est-ce au prix de la satisfaction?
 L'amour est-il une tragédie consentie par sagesse ou par persistance d'un fantasme d'aboutissement?
L'amour satisfait se termine-t'il, la fin étant la finalité?
Le désir est-il l'obstacle de l'amour cherchant toujours plus, ailleurs, du nouveau. Le désir se répétant ne peut-il se fixer que sur ce qui lui échappe, réduisant tout partenaire à être qu'un passager d'amour? Peut-il trouver à se renouveler dans la même adresse avec exultation, sans être écrasé par l'identique?
L'amour doit-il être bête et obstiné, conservation d'un bien, d'un avantage social au delà ou en dépit du sentiment, est-il intéressé par autre chose que lui-même?

Et l'espérance est-elle nécessaire, indispensable? La répétition permet elle d'atteindre l'authenticité  ou l'épuisement?

Et la  dispute?
Meilleure moyen d'éviter l'ennui? Moyen cathartique d'expulser les malentendus?
Recordage nécessaire d'une relation qui se délite?
Y a-t'il de l'amour sans conflits? Faut-il les exprimer ou les taire, les résoudre ou les fuir?
La raison est-elle le pilote ou le sentiment doit-il gouverner? Et l'émotion n'est-elle pas l'essentiel?
Tous trois sont si difficiles à accorder, tout d'abord avec soi-même, alors comment faire avec l'autre!
Les bonnes résolutions peuvent-elles aider? À tête refroidie est-on meilleur amoureux que dans la passion? Y a-t'il amour sans passion et passion sans dispute?
La passion est-elle un danger ou une nécessité? De plus elles nous tourment par leur survenues comme par leur départ. Et puis ,lorsqu'elles sont là, elles nous dominent plus que nous
 les dominons, conduisant à la confrontation plutôt qu'à l'entente, à la lutte contre plutôt qu'à la lutte pour!

Vieillir ensemble sans céder sur son désir, dit-on, mais est-ce que le désir c'est l'envie? " j'ai envie de
toi" est-ce de l'amour?

À suivre...






vendredi 4 juillet 2014

Brantôme et l'amour courtois

Pierre de Bourdeille, dit Brantôme et les Dames   (1540/1614)
(Conférence effectuée en 1993 pour les amis de Brantome et représentée à leur demande en 2014)

Remontons quelques temps en arrière de l'époque de Brantome pour interroger de ce qu'il en était de l'amour en occident.


La femme est considérée comme un être faible qui doit être soumis hiérarchiquement à l'homme dans le mariage; elle doit être la servante de son maître. Celui-ci doit être vigilant et même sévère pour éviter que le malheur et la faute ne s'introduise dans la famille. Le "senior" et maître doit se protéger, protéger ses enfants et protéger son épouse contre elle-même. N'est-ce pas Ève qui a cueilli la pomme et la tendue à Adam?

L'homme a en conséquence la charge de gérer ses biens pour les faire fructifier selon la volonté de Dieu. Sa femme est un de ses biens, le plus précieux,  le plus vulnérable et le plus dangereux. Sa propriété s'étend sur le corps de sa femme dont il ne doit user que sous le regard divin. Ainsi Adam de Persegne (1145-1221) précise que " Dieu ne permet pas que l'âme passe en possession d'un autre" que Dieu. Il éclaire la comtesse de Perche qu'elle a deux maîtres, un pour son corps et un pour son âme. Son corps n'est que le moyen d'accomplir la reproduction des âmes dont Dieu ne se lasse pas: "il serait injuste de transférer le droit de l'un ou de l'autre à un usage étranger" écrit-il. Donc mesdames jouissez de la vie, mais seulement pour la gloire de Dieu!
Nous voyons là le religieux se glisser entre homme et femme, jusque dans l'étreinte intime et veiller à ce que l'union des corps ne soit pas celle des âmes. Il semble que l'on peut trouver là une raison de l'obscurantisme maintenu sur le sexuel. L'érotisme reste de l'ordre du vulgaire, du grotesque ou de l'obscène. La brutalité reste la défense masculine face à l'angoisse de l'autre sexe et le masochisme est la vertu féminine prônée par tous.

Mais alors apparaît l'amour chevaleresque.

La redécouverte d'auteurs latins comme Ciceron et son "Amicilia", conduit à modifier la relation amoureuse. Il y énonce les valeurs de l'honnête homme, nécessaires pour être respecté et aimé. Se met en place une tentative de réaliser un lien amoureux harmonieux avec soi-même, permettant un progrès, c'est-à-dire une purification de l'âme au moyen de la relation à autrui.
La croyance en un destin prévisible auquel il faudrait se soumettre avec humilité est délaissée au profit de la recherche du vrai par la rencontre dans l'aventure, l'exploit, l'épreuve. Ainsi on se réfère indirectement à Platon pour qui " l'utile c'est l'honnête", par exemple défendre la veuve et l'orphelin.
L'Amadis de Gaule (1508) est le livre de chevet de François 1er: c'est l'histoire rocambolesque du fils du roi de France Périon. Amadis est le type même du chevalier errant, pétri d'idéal d'honneur et de galanterie.
La justice suprême redevient l'amour universel du genre humain. Ainsi le chevalier s'érige en défenseur de la justice, voir en justicier veillant à son application.
Roland Furieux, de l'Arioste (1516), commet une succession d'exploits toujours plus héroïques avec des rebondissements prodigieux, mais où curieusement les femmes sont capables, en combat singulier, de défaire les plus puissants chevaliers lorsqu'ils sont en faute.

Mais les applications laïques sont une déviation des réflexions des religieux. L'histoire de l'amour chevaleresque puis de l'amour courtois est celle de cette rencontre et de cette division entre deux courants cultuels, l'ecclésiastique et le chevaleresque, le religieux et le laïc.

Nous ne reprendrons pas la question de l'amour de Dieu qui relève de la théologie, mais celle de
l'organisation des liens amoureux entre hommes et femmes.

L'amour chevaleresque vient en opposition à cet enfermement. Il s'illustre par le voyage, la

découverte, l'ouverture sur le monde extérieur et par la publication de la relation amoureuse où le
tiers n'est plus le confesseur/directeur de conscience mais le semblable, l'alter-ego, le frère d'arme. Le partenaire, la femme n'est plus la servante du seigneur, la domestique (domus), mais la récompense et
l'adresse de l'exploit, enjeu immobile idéalisé. Il en résulte une particularité de cette forme d'amour: repousser dans l'avenir la rencontre définitive, la conclusion de l'alliance, la conclusion merveilleuse.
Georges Duby décrit le modèle initial: "un homme assiège, dans l'intention de la prendre, une dame, une femme mariée, une femme entourée, protégée par les interdits les plus stricts" (nous retrouverons cette construction dans le romantisme où la mort dérobe la femme aimée à l'amoureux)
Donc, à l'inverse de la situation précédente, il n'est pas question de prendre d'emblée le corps de la femme, mais tout d'abord de capter son âme et pour ça la mériter. Le danger est que la femme cède trop vite, car c'est son refus qui oblige le soupirant à se perfectionner toujours plus, selon la volonté de Dieu, pour que la Dame soit bien le signe de son accomplissement.

 L'amour chevaleresque est un jeu existentiel permettant  à l'homme une conquête de lui-même au moyen de l'exploit. Sa Dame est le miroir d'où il se regarde mériter, en particulier dans les joutes guerrières. C'est un amour narcissique.

Nous pouvons y constater une tentative de libération du guerrier du contrôle de l'ecclésiaste par déplacement sur la Dame. Mais ce n'est pas pour autant une libération du religieux!
La femme à l'extrême n'est-elle qu'un leurre?
Initialement, pour le chevalier qui part à l'aventure, elle est le lieu d'inscription de ses exploits, comptable passif de son mérite: du statut de servante elle est passée à celui de trophée.

L'Eglise ne s'avoue pas vaincue et essaie de reprendre pied dans cette nouvelle intimité du couple. Sentant le danger, André le Chapelain (1186) avait tenté d'introduire quelques règles moralistes à

propos du mariage. Celles-ci ordonnent la civilité de l'amour à l'époque où l'état monarchique tente d'organiser et de codifier les relations des féodaux. Ainsi l'effusion sanglante du guerrier est progressivement remplacée par la parade virile du chevalier. Les combats sont ritualisés, tous les coups ne sont pas permis.

Bien sûr, il faut différencier le déroulement des histoires personnelles au cas par cas et les fantasmes collectifs qui organisent la réalité de l'aristocratie de l'époque. La croyance en une forme véritable de

rencontre amoureuse ne se retrouve que rarement dans les anecdotes des alliances. Celles-ci sont
souvent mercantiles.
Il faut aussi prendre en compte la situation de beaucoup, écartés du mariage par leur condition. Ainsi il est plus difficile pour un cadet comme Pierre, que pour l'aîné André de convoler en justes noces.
 De même, pas plus à cette époque qu'à une autre, on confond relations sexuelles et véritable
rencontre amoureuse. D'ailleurs Brantome se moque des chastes: "si nous sommes doter de parties si
nobles, c'est pour en user". Sa préoccupation n'est pas la jouissance vulgaire du corps, mais les félicités de l'âme apaisée.

Dans l'amour courtois le "senior", chef de maison, accepte que son épouse paraisse, qu'elle soit honorée, que lui soit dédiée la bravoure du combattant, car elle est ainsi désignée comme sage et

vertueuse. Elle couronne le meilleur de ceux qui servent son mari ou son roi.
Respectée, la Dame est le lieu où s'énonce la prouesse, où elle est validée, reconnue. La Dame devient parlante et jugeante! Le triomphe du champ de bataille et les témoignages des frères d'arme ne suffisent plus, il faut s'inscrire auprès d'une dame digne de foi. Un pacte secret uni le couple en rupture avec le monde et même à l'écart de Dieu.

Dans le "fin ´amor", l'amour courtois, la Dame devient le lieu précieux de la pureté de l'âme; si bien qu'à partir de ce moment va se poser la question de la Féminité, comme garantie de la pureté de son âme et ceci en particulier sous la forme de la parure et de l'écrin. À ce moment elle n'est plus passive, mais partenaire d'un pacte intime qui progressivement isole le couple du monde par une connivence cachée.


Après le "fine amor" advient le courtisan.

Hélas, l'intensité du sentiment amoureux, l'émotion et l'exploit ne suffisent pas à affirmer
l'authenticité de l'amour. L'amoureux transi ou héroïque n'a pas la garantie suffisante de connaître le "vraye amour". Une fois l'exploit accompli, que faire pour que l'amour soit "parfaict"? On ne peut
laisser le couple livré à lui-même, car soucieux de réussir, il peut s'établir une complicité d'apparence. En effet, il existe toujours un contrat secret entre la dame et le chevalier et comme Dieu n'est plus là pour contrôler la bonne marche des affaires, que faire?

Baltassar Castiglione (1528) publie le "Livre du Courtisan", véritable événement qui devient le

code d'honneur des cours d'Europe. Le courtisan est un homme de cour mais aussi celui qui
courtise, c'est à dire qui fait la cour. Il s'agit de l'art et la manière d'aimer; chacun doit s'efforcer de
respecter la Beauté, seul moyen d'éviter la tromperie.
Castiglione écrit: "la première et la plus importante (des règles) est que (le courtisan) fuie surtout l'affectation", ce que Montaigne reprendra dans ses Essais, car c'est l'authenticité, au delà du paraître, qui est visée. Ce changement tente de corriger l'effet à-social de l'amour courtois, c'est à dire l'isolement du couple qui se suffit à lui-même. La Beauté ne saurait tromper, croit-on!
La prouesse du courtisan évoque celle antérieur du chevalier, mais elle ne saurait être confondue  avec l'exploit chevaleresque qui est une parade devant les autres avec tout ce que ça implique de
mascarade. La prouesse du courtisan du 16eme siècle est l'aventure du désir en produisant le Beau, avec son prix qui est de le faire exister encore et encore et non de cumuler les attributs qui serviraient de preuves; c'est l'introduction à une société du spectacle qui ne serait pas du simulacre.
Mais pourquoi la beauté? Parce que la Beauté est d'essence divine et donc permet de se mettre en accord avec Dieu. Grâce à la Beauté l'accord du couple peut être parfait, puisque Dieu l'approuve.

L'amour courtois évite la présence du tiers; tout se passe à deux. Les amants se logent dans le même fantasme secret. Le tiers ici est le rival qui fait que la femme est exposée à une perte toujours possible pour son amant. En fait ce secret est un stratagème pour faire croire au tiers qu'un lien mystérieux,

quasi magique, unit les amants. En fait ce lien n'existe que dans la mesure où l'autre y croit!
Pour le courtisant ce lien devient publique et visible. Il peut être évalué par les témoins. Sa valeur est
fondée sur l'accomplissement du beau; c'est un culte de la beauté sous toutes ses formes. Là où le
chevalier engrangeait des valeurs par ses exploits, le courtisant témoigne de sa valeur par son attitude
constante et sa fidélité au partenaire et à Dieu.

Catholiques et protestants sont en désaccord.

Cette évolution des mœurs à des répercutions religieuses immédiates. Les courtisants ne sont que
catholiques, pourquoi?
Lors du célèbre débat entre Erasme et Luther, Erasme soutient que la grâce résulte des bonnes actions effectuées, alors que Luther affirme que Dieu est seul juge de la grâce qu'il accorde. Donc, pour un courtisan, bien faire c'est créer de la beauté pour réjouir Dieu et en profiter en retour; le baroque, c'est la jouissance de Dieu étalée au grand jour au moyen de la beauté. Les réformés y voient la porte ouverte à tous les abus et se rapprochent de la position stoïcienne qui se méfie du plaisir, recommande la méditation, l'humilité et la modération dans l'usage du monde. Le courtisant stimule la jouissance divine par l'amour de la beauté, le parpaillot se méfie des débordements de la jouissance qu'il corsète par la discipline et la rigueur.

Et Brantome?

Pierre de Bourdeille est élevé dans la révérence de l'amour courtois. En 1545 à la cour de Margueritte de Navarre, sœur de François 1er, règnent les femmes, donc la culture. Margueritte d'Angoulême, duchesse d'Alençon puis reine de Navarre, nous a laissé un témoignage du raffinement intellectuel de
sa cour à travers les nouvelles qui forment "l'Heptaméron", revanche des femmes sur les hommes brutaux et les moines paillards.
Orphelin de père, Pierre est élevé par sa mère Anne deVivonne et sa grand-mère Louise de Daillon, confidente de la reine. Pierre se passionne pour les anecdotes et contes, avec l'emphase du sud-ouest.

Après de brèves études à Poitiers, il gagne à 16 ans la cour du roi de France Henri II. Il bénéficie du cousinage de La Châtaigneraie considéré comme un héros, célèbre jusque dans sa mort en duel par le

fameux coup de Jarnac. Mais il s'agit là d'une autre cour et sa tante Jeanne de Dampierre l'initie. L'esprit chevaleresque y est dominant. Aussi Pierre ne rêve que d'exploits prestigieux et d'aventures
renommées auprès des Grands qu'il admire. Mais à la cour, Catherine de Médicis promulgue le courtisan. Ses belles manières et son esprit agréable nécessitent un art délicat et un apprentissage raffiné. Les règles sont contrôlées par les dames grandes par le rang ou par l'âge.
Le courtisan français à le culte de l'apparence: beauté de l'image, du geste, du propos, mais  surtout ne jamais être discordant! Mentir, tromper, tricher, voir tuer, oui mais avec élégance!
Il ne faut pas s'imposer mais s'adapter avec une souplesse apparente aux circonstances, sous le regard de la Dame, d'un Grand et au-delà de Dieu qui se" plait à habiter la fleur des beaux corps et belles âmes et par là à se montrer parfois un peu aux yeux et aux entendements de ceux qui sont dignes de le voir."
Le talent du courtisan consiste à faire exister de façon imaginaire, ce qui manque au partenaire, le complétant. La femme devient l'écrin où il dépose son âme. Il faut partager avec elle la beauté. Ainsi le courtisan se féminise de plus en plus pour s'adapter et produire la beauté et la vertu,
y compris dans ses manières et ses vêtements. Ainsi font les mignons d'Henri III qui restent néanmoins de redoutables bretteurs. Cette féminisation n'est pas une dé-virilisation, comme en témoigne la vie du duc de Joyeuse!

À ce jeu Brantôme patine. Il ne valorise pas l'objet qu'il sert, mais essaie de se présenter lui-même comme objet désirable: c'est un enjôleur qui fait l'intéressant. Apprécié pour son talent oratoire, il

n'est pas pris au sérieux car il n'est pas fiable.
Sa gouaille l'entraîne à goûter trop fort sa parole facile et sa curiosité gourmande. Il essaie d'être
remarqué et adopté par un puissant, en affirmant sa race, en s'éclaboussant de la notoriété de sa parentèle. Brantôme veut croire à son personnage et veut qu'on croit en lui; mais il se trompe souvent, car il ne tient pas suffisamment compte des événements où il n'agit pas, puisqu'il se contente de regarder. Quant il est gêné, il maquille ou oublie les actions contradictoires. Compagnon drolatique, il est écouté mais sa servilité le dessert. Il distrait avec verve, par ses anecdotes truculentes, mais ne sait ni agir, ni s'engager; Brantome tergiverse, flatte, mais ne peut prendre vraiment parti, ce qui lui vaut parfois d'être sollicité comme intermédiaire, mais jamais pour des conseils ou des actions.

Brantome se réfère à l'amour courtois qui vise à l'élimination du tiers ou à sa réduction à la complicité. Dans l'amour courtois les amants établissent une connivence, une réciprocité d'engagement, une fidélité. La perte de la Dame est à éviter par la qualité de l'engagement.


Quant Brantome écrit:

" Et plus heureux qui d'amour se flamme
"Peut embrazer les beaux yeux de sa Dame
" Et, bien aimant, mourir, son serviteur"

Et c'est là que le bas blesse: Quoiqu'il en dise, Brantome ne commettra aucun exploit, ne soutiendra aucun engagement réel. Il n'est pas acteur, rarement agent et le plus souvent juste témoin.


Après sa chute de cheval, Brantome se réoriente. Il tente d'écrire un ultime traité d'amour courtois, où il inclue la beauté. C'est pour cela que dès le commencement de son livre il magnifie les femmes: elles sont plus vertueuses que les hommes auxquels elles donnent des leçons: "les Dames estayent courageuses, tellement que si le courage venait à manquer à leur serviteur, le leur remettaient". Il dénonce la brutalité des hommes, car la femme est délicate; il faut la respecter, car elle est précieuse;

il faut accepter de se soumettre à elle et non la diriger, car elle seule peut reconnaître le véritable homme méritant. Mais les vraies femmes, celles qui sont des Dames garanties ne sont belles qu'aux yeux des initiés, comme lui. Brantome est tellement initié, qu'il en voit partout, ou plutôt ne regarde que ça!
Mais d'où vient ce crédit des femmes? De leur beauté établie par Dieu. Ainsi Marguerite de Valois malgré ses nombreux amants, ses meurtres et trahisons, étant pour Brantome, la plus belle femme du royaume, reste pure et même divine! Et si une femme trompe son  mari, c'est à cause d'une faiblesse dont elle est innocente et cela prouve surtout que son mari n'est pas à la hauteur de la situation. "Que
les cocus profitent des leçons que leurs femmes ont prises ailleurs", suggère t'il.
Brantome pourrait être présenté comme partisan de l'égalité des sexes, mais son souci est plutôt une sacralisation de La Femme, pour être reconnu par elle. Pour cela il faut qu'elle soit sans défaut dans sa beauté. Sa virulence est acide dans les descriptions féroces du chapitre " Sur le sujet qui contente le plus en amour".

Pierre de Bourdeille tente de briller par son talent oratoire; il met tout son bagout en œuvre pour prouver sa noblesse. Mais il ne croit pas suffisamment à son image pour s'en contenter; celle-ci doit être confirmée par les armes et par la Dame. Et aucun n'est au rendez-vous!


À une époque ou 1/3 des gentilshommes de la cour meurent ou sont gravement blessés en duel et un autre 1/3 à la guerre, Brantome ne connaîtra que deux blessures pathétiques: il se brûle les yeux en essayant une des armes rutilantes qu'il collectionne; il est soigné au lait de femme. Une 2ème blessure au siège de La Rochelle, due à un éclat de pierre l'atteint superficiellement à la main gauche; il se plaint de ne même pas pouvoir mettre son bras en écharpe, pour que cela se voit!

À la guerre, Brantome ne s'expose pas, il espère une gloire d'association en suivant prudemment son ami "parfaict" Stozzi. Mais il évite les risques, car après tout il n'a qu'un véritable ennemi: l'anglais! Mais voilà, il n'en a rencontré que peu et n'en a jamais combattu.
En fait Brantome est, comme Catherine de Médicis, un tenant de la réconciliation. Malgré les 8
guerres de religion, il essaie d'être copain avec tout le monde et y réussit, bien qu'il se dise catholique
et papiste. Cela lui sert lorsque Coligny, après le massacre des paysans de la Chapelle Fauchée, se
présente devant l'abbaye. Il lui ouvre "la porte des réformés" pour que l'abbaye soit épargnée et que durant les 3 jours de "picore" de la ville, il n'y ait point de meurtre.

Il  lui reste les Dames.

Marguerite de Valois, comme Catherine de Médicis, apprécie Brantome qui l'amuse.  Elle le  manifeste dans ses Mémoires. Néanmoins elle le sait fabulateur et corrige ses propos. Lui voit en elle le modèle de  La Dame accomplie.
"Je crois que toutes celles qui sont, qui seront et jamais ont esté, près la sienne sont laides...son beau visage... Fondé sur un corps de la plus belle, superbe et riche taille qui se puisse veoir accompagné d'un port  et d'une si grave majesté qu'on la prendra toujours pour une Déesse du Ciel,  plus que pour une Princesse de la terre"... Il précise: "je dis celles que l'on peut veoir par l'extérieur; car celle qui sont sergettes et cachées sous un linge blanc et riches parures et accoustremens, on ne peut les despeindre n'y juger, car la veue en est interdite". Pourtant, il n'est pas sans savoir que plus d'une centaine d'hommes l'ont vue et de très prés.
Brantome ne croit pas à la Beauté comme quelque chose qui existe en soi, mais comme quelque chose qui n'existe que pour l'élu. Plus celui-ci la consomme, plus elle augmente. C'est pourquoi il critique Ronsard quand celui-ci demandée à François Clouet, peintre du roi, de peindre objectivement les beautés de sa Cassandre: "Ronsard me pardonne s'il lui plaist, jamais sa maîtresse, qu'il a faite si belle, ne parviens à ceste beauté. N'y quelqu'autre dame qu'il attend veu." Mais malgré sa critique, il ne s'engage pas comme créateur de beauté dans une relation réelle. Il attend d'être reconnu par la
 belle, il attend d'être coopté, au contraire du chevalier et du courtisan qui agissent pour mériter.

Pour Brantome la Beauté permet un rapport sexuel qui serait harmonieux, s'il n'y avait la question de la jouissance qui peut bousculer le tendre commerce. Il y a une double menace:

Côté femme: "elle l'exécutent à quelque prix que ce soit" pour ne pas devenir "seiches et alanguies" et perdre leur beauté. Une fois découverte, elles sont soumissent à une jouissance impérieuse,
irrésistible.
Côté homme: au lieu de consommer avec délectation la beauté, ils se précipitent, s'en emparent et en veulent toujours plus. Bref ils gâchent le jeu amoureux!
Pour Brantome, la jouissance ne se dissout pas aisément dans l'amour.

Alors que faire?

Brantome ne renonce pas, mais propose un tri: " les belles et honnêtes Dames aiment les vaillants hommes et les braves hommes aiment les Dames courageuses". Quant aux autres, " le fruit de l'amour mondain (du monde ordinaire) n'est autre chose que la jouissance" seule et non l'amour véritable.
Seule une alliance entre les âmes bien faites et les corps bien faits permet la félicité; mais c'est quand même la Dame qui accorde la satisfaction. Cette Dame, il ne la rencontre pas, sinon inaccessible. Il attend son heure. Il semble que là aussi Brantome ait peur de vraiment s'engager. À viser trop haut sa prétention échoue. Ce que Brantome n'avouer pas, c'est qu'il n'a pas eu le courage d'affronter la mort qu'il décrit à répétition à travers le décès héroïque de ses amis. À mainte reprises il exprime sa jalousie de ces "belles morts", il en est de même pour les belles alliances matrimoniales qui lui ont toutes échappées, souvent de son fait. Pour Brantome s'engager est une sorte de fin proche de la mort.

 Brantome essaie de sauver la mise au moyen de l'écriture. Il s'y montre à son avantage, se flatte et se venge, s'invente des rôles qu'il n'a pas tenus, bien qu'il fut souvent en place. Il reste un témoins qui affirme "j'y étais" même quant c'est ostensiblement faux; il veut persuader et espère, sans doute y

 trouver une éternité.


Le temps est passé et dame Jacquette de Montbron, veuve de son frère ainé est dans sa tour. Il se fait son serviteur zélé après qu'elle lui ait sauvé la vie et soigné 2 années au château de Bourdeilles. Il prêt à combattre pour elle, ce qui faillit arriver en 1592, comme Hamlet quand il n'a plus rien à perdre!
Jacquette est "comme déesse au ciel" que nul soupirant ne peut rejoindre; c'est sa beauté qui garantit sa pureté. Renée de Bourdeille est le fidèle portrait de sa mère et suscite le même sentiment. Elle meurt à 34 ans, 18 mois avant sa mère (56 ans). Jacquette et Marguerite partagent la même beauté et pourtant sont si différentes. Jacquette veuve se tourne vers Dieu tandis que les frasques de Marguerite défrayent la chronique mondaine.

Brantome a-t-il échoué, a-t-il réussi?

Dans l'amour chevaleresque, la Dame présentifie la mort; non pas celle qui pétrifie la vie dans l'horreur du terme, mais celle qui en permet l'assomption par le désir engagé. Là, nul ne pénètre sans risque.
Dans l'amour courtois, c'est la communion des âmes qui défie la mort par les moments d'éternité partagés, moment de vérité de la rencontre authentique. Là, nul ne pénètre sans choix déterminé.
Pour le courtisan du 16eme siècle, la beauté est une éthique, l'esthétique, à la fois essence de la féminité et joie de Dieu qui inscrit la vie dans un au-delà de la mort, par la réalisation de la volonté de Dieu, réalisation de notre nature profonde. Là, nul ne pénètre sans rigueur.

Brantome à préparé sa mort pour mieux l'éviter: son château est son monument funéraire; il écrit son épitaphe et veille à ce que ses descendants entretiennent sa tombe. Connaissez-vous des tombes de 1614 aussi bien entretenue? Et puis que faisons-nous aujourd'hui, sinon parler de lui, encore et encore!


Brantome espère une réussite posthume. Il croit à la notoriété de son œuvre littéraire et recommande des délais de publication pour éviter la censure. Il se peut qu'elle se soit quand même exercée par la

disparition d'un de ses livres... Quant à sa théorie de l'amour et de la beauté, il ne lui a pas fait passer l'épreuve de réalité.
Néanmoins, même si ce n'était pas son objectif premier, il reste un observateur de qualité, croque des portraits et réalise quelques poèmes qui méritent d'être lus. Brantome n'est pas un acteur de l'histoire, il est un témoin. Au moment des épreuves ultimes il est enfin sincère et devient auteur. Il a compris que le Beau ne peut se démontrer puisque, comme la Liberté, comme la Vérité et comme l'Amour il ne peut se prouver, parce qu'il ne peut jamais tout se dire. Par contre, il peut être produit et apprécié, à condition de s'en donner les moyens.